Poèmes
L’homme ému, Pierre Londiche
On n’interroge pas un homme ému
Il n’est pas en état de vous répondre
Il faut lui laisser le temps de penser
A ce qui lui est arrivé
Et ne pas se précipiter
Pour vouloir le soulager
On n’interroge pas un homme fatigué
Il n’est pas en état de repartir
Il faut lui laisser le temps de se reposer
Pour qu’il puisse reprendre des forces
Et ne pas se précipiter sur lui
Sous prétexte d’humanité
Si vous voulez comprendre un homme
Qui a perdu ses facultés
Mettez vous à sa portée
Il a besoin de beaucoup de temps
Le temps qui vous est nécessaire
A comprendre ce qui lui est arrivé
On n’interroge pas un homme bouleversé
Il ne sait plus comment se retourner
Il a juste besoin d’attention
Et peut être d’affection
Ne vous en inquiétez pas
Il a besoin de temps
Si vous voulez comprendre une femme
Que vous avez troublée
Et qui vous a oublié
Ne vous précipitez pas
Pour lui faire oublier
L’homme ému qu’elle a troublé
Poème de Rûmî
Debout, amis, partons. Il est temps de quitter ce monde.
Le tambour résonne du ciel, voici qu’il nous appelle.
Vois : le chamelier s’est levé, il a préparé la caravane
Et veut s’en aller. O voyageurs, pourquoi dormir ?
Devant nous, derrière nous, s’élèvent le tintement des clochettes,
Le tumulte du départ…
Un lourd sommeil est tombé sur toi des sphères tournoyantes.
Prends garde à cette vie si légère, méfie toi de ce sommeil si lourd.
Ame, cherche le Bien-Aimé, ami cherche l’Ami.
O veilleur, sois sur tes gardes : il ne sied pas au veilleur de dormir.
(Diwân-e Shams e Tabrîzî)
Baudelaire, Les fleurs du mal, “Spleen et idéal”, La musique
La musique souvent me prend comme une mer !
Vers ma pâle étoile,
Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther,
Je mets à la voile ;
La poitrine en avant et les poumons gonflés
Comme de la toile,
J’escalade le dos des flots amoncelés
Que la nuit me voile ;
Je sens vibrer en moi toutes les passions
D’un vaisseau qui souffre ;
Le bon vent, la tempête et ses convulsions
Sur l’immense gouffre
Me bercent. D’autre fois, calme plat, grand miroir
De mon désespoir !
Louis Aragon, Les oiseaux déguisés
Tous ceux qui parlent des merveilles
Leurs fables cachent des sanglots
Et les couleurs de leur oreille
Toujours à des plaintes pareilles
Donnent leurs larmes pour de l’eau
Le peintre assis devant sa toile
A-t-il jamais peint ce qu’il voit
Ce qu’il voit son histoire voile
Et ses ténèbres sont étoiles
Comme chanter change la voix
Ses secrets partout qu’il expose
Ce sont des oiseaux déguisés
Son regard embellit les choses
Et les gens prennent pour des roses
La douleur dont il est brisé
Ma vie au loin mon étrangère
Ce que je fus je l’ai quitté
Et les teintes d’aimer changèrent
Comme roussit dans les fougères
Le songe d’une nuit d’été
Automne automne long automne
Comme le cri du vitrier
De rue en rue et je chantonne
Un air dont lentement s’étonne
Celui qui ne sait plus prier